Échange sur BFM Business le 29 janvier 2024
Lorraine Goumot : on investit thématiquement ce matin avec Kevin Le Nouail. Vous êtes directeur des investissements d'Avant-Garde Family Office. Avec vous on zoom sur les spiritueux européens. Bon, pas très en forme depuis quelques mois les spiritueux européens : racontez-nous ça.
Kevin Le Nouail : alors je fais une précision pour commencer quand on parle de spiritueux européens : on parle en fait de toutes ces maisons qui vendent des liqueurs, des eaux-de-vie, des apéritifs. La norme globalement qu'on retient, c'est 15 % d'alcool. Donc typiquement aujourd'hui, on va s'exclure de parler d'annexion d'AB InBev ou de choses comme ça, des brasseurs. Et donc on se focalise sur des sociétés comme Pernod Ricard, Diageo, même si on va sûrement en parler dans le détail également de Campari ou Remy Cointreau. Ce qui nous intéresse aujourd'hui, vous l'avez parfaitement dit, c'est qu'elles ne sont pas en très grande forme. Évidemment, il y a différents facteurs. La question que l'on doit toujours se poser en termes d'investissement, elle est relativement simple, est-ce qu'à un certain moment on tombe dans l'excès ? Est-ce qu'il y a une dose d'irrationnel en réalité ?
Lorraine Goumot : peut être un point d'entrée pour ceux et celles qui sont à la recherche d'investissements, peut être de renforcer leur position. Est-ce que vous pouvez nous décortiquer rapidement les éléments qui expliquent la baisse de ce secteur depuis six mois ?
Kevin Le Nouail : le premier élément auquel on peut penser, il est d'une banalité terrible, j'en suis navré pour le téléspectateur, c'est celui de l'inflation. En fait, on en parle assez régulièrement, mais on y pense peu fondamentalement. Pour les spiritueux, on pense souvent aux nectars mais pas aux intrants qu'il y a à l'intérieur. Le premier, c'est le sucre pour faire de l'alcool, le second, c'est le verre avec le sable. Or, ces deux éléments-là, et bien globalement, depuis 2022, ont vu leur prix exploser plus que doubler pour certains. Ça a évidemment mis une pression très importante sur les marges. Elles ont pu être maintenues en réalité par des effets prix. Mais évidemment, ça a contraint, vous vous en doutez, les croissants. Donc ça, c'est vraiment le premier élément important.
Lorraine Goumot : on rajoute à ça tout ce qui est transport et fret.
Kevin Le Nouail : oui, absolument. On ne les oublie absolument pas. Là aussi des facteurs exogènes. On se retrouve vraiment dans ce cadre-là, inflationniste, qui les a beaucoup contraints. Encore une fois, l'effet prix a su rattraper globalement cet effet inflationniste qui est important, mais on ne doit pas oublier justement cette pression-là dont on a évidemment beaucoup parlé par le passé.
Lorraine Goumot : on a aussi des marchés qui sont un peu au ralenti. On pense à la Chine, mais aussi aux Etats-Unis.
Kevin Le Nouail : oui, absolument. En réalité, c'est vrai que si on parle de spiritueux européens, il ne faut pas oublier les relais de croissance de ces acteurs. La Chine et les États-Unis étaient de très importants relais de développement. D'une part parce que certains ont su trouver globalement des codes du luxe. On pense notamment aux acteurs, par exemple sur le cognac qui se sont vus vraiment mis en avant sur des marchés tels que la Chine, or il y a en en effet des ralentissements de consommation sur les deux zones. Alors, pour différents éléments, on pense évidemment aux Etats-Unis, c'est une diversification de production. On a également globalement une diversification de consommation parce que certains acteurs se sont un peu reposés sur leurs lauriers. J'évoquais le cognac qui typiquement depuis des années est un produit de luxe qui maintenant commence à être doublé par sa droite par la tequila qui revient aussi comme un produit de luxe. Sur la Chine, on a un ralentissement de consommation qui a priori, là aussi, est très connu, mais nous avons aussi des effets politiques : il ne faut pas oublier qu'on a des pratiques, notamment on a des législations qui sont passées, notamment pour les pratiques anti-intrusion politique. Et donc on a vu notamment les cadeaux aux entreprises en matière de spiritueux ralentir.
Lorraine Goumot : bon alors vous nous faites un portrait à la baisse, mais qu'est ce qui vous positionne chez Avant-Garde à l'achat finalement ?
Kevin Le Nouail : alors globalement, à l'achat, encore une fois, l'idée est de se dire est ce qu'on a un peu d'irrationnel ? Est ce qu'il y a un peu d'excès finalement dans ce qu'on se dit lorsque l'on regarde les niveaux ? On se dit que d'une part, l'inflation est relativement temporaire. Elle est quasiment terminée. En réalité, on a des niveaux qui sont toujours aussi élevés, mais on a plus d'effets d'accélération extrêmement importants. Ça, c'est évidemment important pour nous. Le deuxième élément, c'est que si on revient de manière très fondamentale, on a des codes du luxe pour ces valeurs là, ce qui est extrêmement important.
Lorraine Goumot : les codes du luxe ? Dites-nous ça avec vos mots.
Kevin Le Nouail : aujourd'hui, on a des sociétés qui ont non seulement une capacité de brandir une image extrêmement forte auprès de leurs consommateurs, fixer leurs prix, mais également une partie marketing extrêmement importante. Aussi, en termes d'investissement, on a des codes du luxe aussi dans les marges et les résultats qui s'en sortent. Globalement, aujourd'hui, les résultats d'exploitation pour ces acteurs, c'est 30 %. C'est un point qu'on aime beaucoup. Par ailleurs, encore une fois, si les Etats-Unis et la Chine ont été des facteurs relativement défavorable, j'insiste beaucoup sur la diversification des marques, pensons à Pernod Ricard : 17 marques dans le top 100 mondial.
Lorraine Goumot : bon alors on le voit, vous êtes à l'achat, qu'est-ce qu'on peut anticiper ? LVMH a publié la semaine dernière. Tout va très bien sauf les spiritueux. Au Kenya, il y a aussi des rumeurs sur la vente de leur bière iconique du marché africain. Qu'est-ce qu'on anticipe dans les prochaines semaines, dans les prochains mois ?
Kevin Le Nouail : très concrètement, quand vous avez un secteur comme ça qui est fortement sous pression, on peut évidemment se dire que la volatilité va continuer. Dans ce panier de spiritueux, on peut globalement se pencher par exemple sur un acteur tel que Rémy Cointreau. C'est le contre-pied relativement classique. Vendredi, on gagne plus de dix points en réalité à la suite d'excellentes annonces. Donc typiquement, aujourd'hui, ce que l'on attend, c'est que cette zone de bruit se calme et de revenir à quelque chose de fondamental qui est la valeur à moyen terme de ces acteurs. Aujourd'hui, on les paye sur les niveaux de 2010 2014 en termes de valorisation, donc en tant qu'investisseur, il faut s'y pencher.